Certitude fiscale, complexité législative et règles refuge
Ken Griffin, PWC S.E.N.C.R.L./S.R.L.
La certitude fiscale et la complexité législative sont des notions
apparentées, mais l'une ne gouverne pas toujours l'autre (ou, du moins,
pas dans le même sens). C'est-à-dire que l'incertitude dans un domaine
particulier de l'impôt sur le revenu canadien peut (et c'est sans doute
le cas) découler soit d'une législation très simple, soit d'une
législation très compliquée. Inversement, des mesures simples peuvent
contribuer à réduire l'incertitude, tout comme une complexité accrue
lorsqu'elle est utilisée pour mieux cibler une préoccupation fiscale
particulière. La législation fiscale récente a toutefois eu tendance à
créer à la fois plus d'incertitude et plus de complexité. Notre système
fiscal et les contribuables canadiens méritent une plus grande dose de
certitude.
Dispositions de biens : Gain en capital ou revenu ordinaire?
Par exemple, l'une des questions les plus fondamentales de l'impôt
canadien sur le revenu est de savoir si un gain provenant d'une
disposition particulière de biens est un gain en capital ou un revenu
ordinaire. La législation correspondante est, dans un sens, simple car
il n'existe pas de règles législatives d'application générale qui
répondent à cette question. Les tribunaux ont donc été amenés à élaborer
des règles de common law, sous la forme de considérations et de
facteurs généraux, qui peuvent être appliquées à la situation
particulière d'un contribuable. Bien que ces règles soient aujourd'hui
raisonnablement bien comprises par les fiscalistes, une grande
incertitude subsiste quant à leur application à des situations de fait
réelles (en particulier dans un contexte de planification, car
l'incertitude concernant des événements futurs ou des actions et
décisions d'un contribuable peut influencer la détermination). Des
mesures législatives ont été prises pour réduire cette incertitude,
notamment le choix visant les « titres canadiens » prévu au
paragraphe 39(4), qui permet à un contribuable qui n'est pas un
« commerçant ou courtier en valeurs mobilières » de choisir que toute
disposition de titres canadiens qu'il effectue soit réputée être une
disposition d'immobilisations. Bien entendu, une certaine incertitude
demeure, car il n'est pas toujours évident de savoir qui est un
« commerçant ou un courtier ».
Plus récemment, d'autres mesures législatives moins simples ont été
prises dans le cadre de la promulgation des règles relatives aux
« contrats dérivés à terme » (CDT), qui visent à garantir que les
montants qui devraient être traités comme un revenu régulier ne soient
pas artificiellement convertis en gains en capital. Le choix visant les
titres canadiens est une approche « refuge » qui réduit à la fois la
complexité et l'incertitude, et améliore la prévisibilité globale des
résultats. En revanche, les règles relatives aux CDT ajoutent à la fois
de l'incertitude et de la complexité. Des règles refuge appropriées (ou,
plus généralement, des critères de ligne de démarcation très nette
quant au moment où une disposition s'applique ou non) peuvent jouer un
grand rôle dans la réduction de l'incertitude et de la complexité, tant
pour les contribuables que pour le gouvernement, et devraient donc être
encouragées.
Dans le contexte des gains provenant d'investissements immobiliers,
l'incertitude peut être encore plus grande compte tendu du concept
jurisprudentiel de l'« intention secondaire ». Il peut être
particulièrement difficile de conseiller correctement les investisseurs
potentiels dans un bien productif quant à savoir si la composante
fiscale de leur modèle de souscription doit refléter le traitement en
tant que gain en capital ou revenu à la sortie, à la fin de la période
de modélisation. Même s'il n'est pas prévu concrètement de revendre le
bien à la fin de la période (de sorte que la « sortie » n'est que
théorique), les hypothèses du modèle concernant les valeurs de fin de
période seront-elles utilisées comme preuve de la motivation de
l'investisseur à effectuer l'investissement?
Si l'investisseur est habile à améliorer l'efficacité de l'exploitation
et la composition des locataires et peut, par conséquent, prévoir des
améliorations du revenu locatif net futur qui entraînent un gain présumé
en fin de période, cela entachera-t-il la nature du gain qui sera
ultimement réalisé? Les fonds d'investissement immobilier privés — en
particulier les fonds étrangers qui doivent souvent employer dans leur
structure une entité imposable faisant obstruction pour éviter d'imposer
aux investisseurs ultimes des obligations de déclaration fiscale
canadienne — trouvent très difficile de tolérer cette incertitude
fiscale, à la fois parce qu'elle influence la décision d'investissement
initiale et, plus important encore, parce qu'au moment de faire une
distribution aux investisseurs après la disposition d'un bien, ils
doivent déterminer les retenues à faire pour les impôts à payer. Les
litiges longs et coûteux (tant pour les contribuables que pour le
gouvernement) sont de plus en plus fréquents, et il est probable que
cette situation n'ira qu'en s'aggravant.
Un choix relatif à une « période de détention minimale » pour les
participations dans des biens immobiliers qui garantirait le traitement
des biens en tant que biens en immobilisation pour un contribuable qui
n'est pas un commerçant ou un courtier pourrait éliminer bon nombre de
ces litiges et permettre de rediriger les ressources de l'ARC. Par
exemple, le propriétaire d'une telle participation pourrait être
autorisé à faire un choix pour qu'un bien donné soit considéré comme un
« bien en immobilisation » l'année au cours de laquelle le bien devient
prêt à être mis en service (tel qu'il est défini, au paragraphe 13(28),
pour un bien amortissable qui est une participation dans un bâtiment).
En vertu de ce choix, la participation serait réputée être une
immobilisation aux fins de la qualification d'un gain ou d'une perte
lors d'une disposition ultérieure du bien qui a lieu au moins une année
civile après la fin de l'année pour laquelle le choix est fait. Les
règles relatives aux transferts avec lien de dépendance pourraient
reconnaître la période de détention (et les choix précédents) du cédant.
En l'absence de choix, les concepts existants continueraient à
s'appliquer.
Bien que ce type de règle refuge puisse plutôt s'appliquer
automatiquement sur la base d'une période de détention minimale, le fait
de devoir faire un choix initial pourrait empêcher un contribuable de
tenter de tirer parti du traitement garanti du bien en tant que bien en
immobilisation si un gain est réalisé, tout en gardant la possibilité de
soutenir qu'il devrait être traité comme un revenu (en partant du fait
que le contribuable est un commerçant ou un courtier) si une perte
survient lors d'une disposition après la période de détention minimale.
Enfin, la règle pourrait également s'étendre pour qualifier
d'immobilisations (pour plus de certitude) les participations dans les
capitaux propres et les titres de créance d'une entité qui a fait le
choix et qui respecte la période de détention minimale.
Incertitudes dans l'application des règles relatives à l'IRF
Les règles refuge peuvent cependant parfois constituer une solution de
fortune à un problème plus grave d'incertitude législative.
L'élargissement récent des règles relatives à l'impôt sur le revenu
fractionné (IRF) à l'article 120.4 en est un bon exemple. Ces règles
partent désormais du principe que tout est compris dans la définition de
« revenu fractionné », sauf si une exception particulière peut être
trouvée dans la définition de « montant exclu ». La plupart des
contribuables sont obligés de déterminer si un montant donné peut être
considéré comme provenant directement ou indirectement d'une société,
d'une société de personnes ou d'une fiducie donnée ou d'une activité
d'investissement (un exercice difficile et subjectif, truffé
d'incertitudes), ou si le montant répond à un critère de « caractère
raisonnable » très imprécis. Un certain nombre de règles refuge de
démarcation très nette existent, mais l'accès à une exclusion utile, qui
repose sur l'atteinte ou non d'un seuil minimum de participation, peut
être considérablement réduit en fonction de l'activité et de la
structure de la société sous-jacente; ainsi, de nombreuses situations
qui sembleraient autrement mériter un allègement peuvent être exclues de
la règle refuge.
Le problème sous-jacent aux règles relatives à l'IRF est sans doute
l'approche législative qui exige que le contribuable trouve, et soit en
mesure de soutenir, une exception aux règles, plutôt que d'exiger du
Parlement qu'il définisse mieux les situations ciblées par la mesure.
L'incertitude qui en résulte s'avère souvent difficile à résoudre pour
les contribuables et leurs conseillers, car il est difficile de
distinguer un schéma ou un principe cohérent concernant le méfait fiscal
précis que les règles tentent de contrôler.
Parce que les règles relatives à l'IRF sont complexes et incertaines
dans leur application, et parce qu'elles sont, en général, plus
pertinentes pour le contribuable moyen qui n'a pas les ressources
nécessaires pour effectuer l'analyse en profondeur qu'exigerait une plus
grande certitude, l'approche pratique pour un contribuable consiste
généralement à soutenir que les règles « ne devraient tout simplement
pas s'appliquer » et à espérer que l'ARC n'effectuera pas de
vérifications de grande envergure dans ce domaine. De toute évidence,
cette approche n'est pas idéale dans le contexte d'un système
d'autocotisation et, plus généralement, elle ne contribue pas à
renforcer la confiance dans le régime fiscal canadien.
Cette approche devient toutefois de plus en plus courante, car les
contribuables réagissent à la tendance de la législation fiscale récente
à favoriser une complexité accrue afin de permettre au gouvernement
d'avoir plus de certitude que l'évitement perçu sera freiné. Cette
complexité est due au fait que les règles tentent de combattre non
seulement le problème d'évitement fiscal expressément désigné, mais
aussi toutes les variantes ou extensions possibles de ce problème. Il
semble qu'une analyse solide n'ait pas toujours été appliquée pour
déterminer si l'avantage pour le gouvernement (par exemple
l'augmentation des recettes ou la réduction des fuites fiscales, la
déduction faite des coûts de recouvrement supplémentaires) et le système
fiscal (par exemple la perception publique de l'« équité ») justifie le
coût pour les contribuables (en termes de coûts de conformité et
d'impôt supplémentaire potentiel). Parmi les exemples notables de cette
lacune législative, outre les modifications de l'IRF et les règles
relatives aux CDT susmentionnées, on peut citer 1) les règles élargies
sur les prêts d'entreprise adossés aux actionnaires, 2) les règles
relatives au « revenu de société déterminé » qui peuvent limiter la
déduction accordée aux petites entreprises, et 3) les règles modifiées
au paragraphe 55(2).
L'étendue incertaine du paragraphe 55(2)
Compte tenu de l'effet négatif majeur de l'application de certaines de
ces dispositions, les contribuables n'ont pas toujours les moyens de
vouloir simplement résoudre les problèmes. Ils peuvent devoir consacrer
plus de temps et d'argent pour structurer une opération commerciale de
manière qu'une règle anti-évitement étendue ne s'y applique pas, même si
le contribuable n'a pas réellement l'intention d'éviter l'impôt. La
situation récente d'un contribuable illustre un tel problème, dans le
contexte du paragraphe 55(2).
Sexp était détenue par une société (Soc. A) et un particulier (M. X).
Chacun possédait 50 pour cent de la catégorie unique d'actions
ordinaires qui étaient en circulation. Sexp exploitait une entreprise en
activité et disposait d'un revenu protégé en main attribuable aux deux
actionnaires. M. X a vendu sa participation de 50 pour cent dans les
actions ordinaires à une société non liée (Soc. B). Après la vente,
Soc. B et Soc. A ont pu refinancer les activités de Sexp et libérer des
liquidités pour distribution. La part de Soc. A était bien en deçà du
revenu protégé attribuable à ses actions. Les actions de Soc. B ne
comportaient pas un revenu protégé, car elles venaient d'être acquises à
leur juste valeur marchande (JVM), de sorte qu'elles n'avaient pas de
gain accumulé (tout le revenu protégé auparavant attribuable à ces
actions était maintenant incorporé dans le prix de base rajusté des
actions pour Soc. B).
Sexp aurait pu simplement distribuer l'argent au moyen d'un dividende
imposable sur ses actions ordinaires, mais Soc. B craignait que l'un des
objets du paiement ou de la réception du dividende puisse être
considéré comme étant de réduire grandement la JVM de l'action (ou
d'augmenter grandement le coût du bien), de sorte que le
paragraphe 55(2) pourrait s'appliquer à l'égard de la part de Soc. B
dans le dividende en vertu du sous-alinéa 55(2.1)b)(ii). On peut
soutenir qu'il n'y avait pas d'objet « défavorable » de ce genre, mais
il serait très difficile d'éliminer toute incertitude à cet égard, et
les conséquences d'une erreur (impôt payable par Soc. B lorsqu'aucun
gain économique n'a été réalisé) seraient graves.
En théorie, les critères de l'objet élargis du paragraphe 55(2.1)
laissent entendre que Sexp devrait plutôt effectuer une distribution à
Soc. B qui réduirait le coût fiscal de ses actions, de sorte que Soc. B
ne pourrait pas tirer avantage d'avoir des actions dont le coût fiscal
est supérieur à la JVM. Malheureusement, le paragraphe 55(2),
contrairement aux règles applicables aux sociétés étrangères affiliées,
n'a pas été conçu avec une caractéristique permettant simplement à
l'actionnaire de traiter un dividende comme un remboursement de capital
entraînant une réduction de la base d'imposition. Soc. B doit donc
plutôt choisir de risquer d'être jugée comme ayant une intention
inappropriée à l'égard du dividende, une intention qu'elle pourrait
avoir beaucoup de difficulté à réfuter.
Compte tenu de l'organisation du capital social de Sexp, il n'y avait
pas de moyen facile de faire une distribution à Soc. B en tant que
réduction du prix de base tout en permettant à Soc. A de recevoir sa
part de la distribution sous forme de dividende de revenu protégé. Au
lieu de cela, une restructuration compliquée des actions et une série
d'autres mesures ont été nécessaires pour que les actionnaires puissent
recevoir leurs parts respectives de la distribution d'une manière
satisfaisante pour chacun dans le contexte du paragraphe 55(2) et qui ne
modifierait pas leur participation continue prévue de 50 pour cent dans
Sexp.
L'incertitude introduite dans le paragraphe 55(2) par les critères de
l'objet élargis, sans aucune indication sur la question de savoir si un
contexte d'évitement donné doit être lié à ces objets pour que le
paragraphe s'applique, n'est qu'une des nombreuses façons dont les
modifications de 2016 ont accru l'incertitude concernant l'application
du paragraphe 55(2). Bien que le gouvernement ait le souci légitime de
limiter l'utilisation inappropriée des dividendes intersociétés exonérés
d'impôt, il devrait revoir ce paragraphe pour trouver un équilibre plus
raisonnable.
On ne pourra jamais éliminer l'incertitude fiscale; notre monde est trop
compliqué, et aucun système fiscal fonctionnant correctement ne pourra
jamais traiter de manière complète et exhaustive toutes les situations
possibles et tous les faits. Néanmoins, lors de l'évaluation de la
législation canadienne en matière d'impôt sur le revenu, plus
d'attention devrait être accordée à l'accroissement de la certitude
fiscale et à la réduction de l'incertitude fiscale, et à se demander si
les mesures fiscales proposées peuvent être raisonnablement appliquées
tant par les contribuables que par l'ARC. ◼