Point de vue d'une avocate plaideure sur la certitude fiscale
Martha MacDonald, Torys LLP
Imaginez-vous dans une salle de conférences ensoleillée en train de
conclure une grosse affaire. Vous avez une confiance raisonnable en
votre analyse fiscale. Vous avez un avis juridique de votre avocat
fiscaliste.
Maintenant, imaginez-vous en train d'ouvrir les portes d'une salle
d'audience de la Cour canadienne de l'impôt, environ 10 ans plus tard.
Au moment de vous approcher de la barre des témoins pour témoigner,
combien confiant êtes-vous?
Dans cet article, je parlerai de certains des problèmes qui touchent la
certitude fiscale à l'étape du procès. Les tribunaux s'efforcent de
respecter l'intention du législateur et de régler les différends en se
basant sur des principes juridiques objectifs plutôt que sur des
impressions subjectives. Ces efforts favorisent la constance, la
prévisibilité et l'équité en droit fiscal. Mais cela n'empêche pas
l'incertitude de s'immiscer parfois dans le processus.
Le droit fiscal n'est pas interprété en vase clos
Certaines opinions fiscales portent un regard froid et abstrait sur le
droit fiscal, ce que les tribunaux font rarement. Durant un procès, les
arguments de droit fiscal sont présentés en dernier. À cette étape, le
juge de première instance a entendu les témoins factuels et experts,
s'il y a lieu, et admis la totalité des preuves. Par conséquent, les
preuves mettent l'argumentation juridique en contexte. Il en va de même
en appel, où les juges ont accès au dossier de la preuve, aux arguments
écrits et aux autorités avant le début de l'audition.
Certitude des questions
Les questions examinées par le tribunal seront-elles les mêmes que
celles couvertes dans l'avis juridique? La liste sera probablement plus
courte, et possiblement différente.
L'administration fiscale pourrait être en désaccord avec seulement
certaines des positions particulières prises dans l'avis juridique.
Cependant, les points en litige peuvent changer avant le procès. La
Couronne ne peut pas soutenir que le fondement d'une cotisation est
incorrect, mais elle peut abandonner le fondement original et avancer de
nouveaux arguments. Par exemple, dans l'arrêt
Burlington Resources Finance Company v. The Queen (
2020 TCC 32),
la Cour canadienne de l'impôt a permis à la Couronne d'abandonner les
allégations relatives aux prix de transfert qu'elle avait soutenues
pendant sept ans et à travers nombre d'interrogatoires préalables et de
motions préliminaires.
Une fois qu'un procès est commencé, l'acceptation, par la Cour, des
questions telles qu'elles sont présentées par les parties est
incertaine. On ne s'entend pas sur le rôle du juge dans un appel en
matière d'impôt. D'un côté, certains pensent que le juge de première
instance doit vérifier que la cotisation qui fait l'objet d'un appel est
adéquate, sans plus. Comme l'a expliqué le juge Rothstein dans l'arrêt
Canada c. McLarty (
2008 CSC 26),
« En matière de nouvelle cotisation, le rôle du tribunal se borne à
trancher les différends entre le ministre et le contribuable. Il n'est
pas le protecteur des revenus de l'État. Le tribunal doit uniquement
décider si le ministre, selon le fondement qu'il a choisi pour établir
la cotisation, a raison ou a tort. »
D'autres pensent qu'il revient au juge de déterminer l'analyse fiscale
correcte. C'est cette opinion qui a étayé la décision de la Cour
canadienne de l'impôt dans le cas
Descarries c. La Reine (
2014 CCI 75).
L'appel portait sur la règle générale anti-évitement (RGAE). La Cour
canadienne de l'impôt a rendu des arguments sur la détermination d'un
mésusage ou d'un usage abusif d'une disposition particulière, déviant du
fondement de la cotisation et des positions des parties et introduisant
de l'incertitude dans les questions.
Certitude quant à l'issue des cas fiscaux de nature technique
La cour tranchera-t-elle les questions fiscales de nature technique de
la même façon que les opinions en matière d'impôt? Peut-être pas, et ce,
pour plusieurs raisons, notamment 1) les questions relatives aux
preuves, 2) l'approche de la cour quant à l'interprétation législative
et 3) les changements
a posteriori dans la loi et les documents extrinsèques.
Preuves
Les opinions en matière d'impôt supposent souvent des faits. Dans un
contentieux fiscal, on doit démontrer les faits au moyen de preuves
admissibles selon la prépondérance des probabilités. Il revient aussi
aux contribuables de réfuter les hypothèses factuelles présentées par
l'administration fiscale. Un contribuable pourrait avoir une théorie
juridique valable, mais perdre parce qu'il a échoué à apporter des
preuves suffisantes.
Interprétation législative
L'approche que prend la cour pour interpréter une loi fiscale pourrait
influer sur l'issue d'une affaire. La Cour suprême a adopté l'approche
moderne, celle de l'analyse textuelle, contextuelle et téléologique. Une
autre veine de la jurisprudence adhère à une approche qui cherche un
résultat rationnel, pratique et raisonnable qui va dans le sens du
régime législatif.
Récemment, dans l'arrêt
Canada c. Cheema (
2018 CAF 45),
la Cour d'appel fédérale a confronté ces deux approches. Elle s'est
demandé si une fourniture en vertu d'un nouveau régime de remboursement
pour habitations neuves était faite à une personne qui avait signé une
promesse bilatérale de vente (comme l'affirmait la majorité) ou à une
personne qui en obtenait la propriété effective (comme l'affirmait la
position dissidente).
Dans l'arrêt
Cheema, la majorité a expliqué que l'analyse
« rationnelle, pratique et raisonnable » n'était pas appuyée par
l'administration et que sa subjectivité était inacceptable
comparativement à l'approche moderne : « [L]a dernière approche repose
sur la nature de la loi, tandis que la première dépend de la nature du
juge. En effet, un juge pourrait estimer qu'un résultat est rationnel,
pratique et raisonnable, tandis qu'un autre pourrait avoir une opinion
différente. »
Selon la majorité, l'approche adoptée à l'égard de l'interprétation
législative a fait toute la différence : le contribuable a perdu, tandis
qu'il serait sorti victorieux en vertu de l'autre approche.
Modifications législatives a posteriori
Les changements
a posteriori aux lois fiscales sont
particulièrement frustrants. La cour doit appliquer les lois fiscales en
vigueur pour l'année d'imposition pertinente au moment de sa décision.
La constitution n'empêche pas l'apport de modifications rétroactives aux
lois fiscales. En faisant une modification rétroactive en cours de
procès, il arrive parfois que des gouvernements en sortent
« vainqueurs » (par exemple
Procter & Gamble Inc. v. Ontario (Finance),
2010 ONCA 149) ou étayent une position dans une affaire en instance (par exemple
CIBC c. La Reine,
2006 CCI 336).
Plusieurs modifications législatives ne sont pas rétroactives à la
période visée par l'appel. Règle générale, une modification ne signifie
pas que la loi révisée diffère d'avant le changement ni n'implique une
déclaration quant à l'ancien état du droit (voir en exemple l'article 45
de la Loi d'interprétation).
Il s'agit de savoir si la considération des modifications ultérieures
est trop subjective. Les décisions rendues au procès et en appel dans
l'affaire
Silicon Graphics Ltd. c. Canada (
2002 CAF 260; rév.
2001 CanLII 689 (CCI))
illustrent ce point. La Cour canadienne de l'impôt a refusé de
considérer des modifications ultérieures parce que différentes personnes
pourraient en venir à des conclusions opposées quant à leur effet :
« Une personne pourrait tirer la conclusion selon laquelle le
législateur ne faisait que rendre explicite ce qui a toujours été
implicite. Une autre pourrait conclure qu'il cherchait à corriger des
faiblesses présentes dans la loi antérieure. Une troisième pourrait en
venir à la conclusion que le législateur avait l'intention de modifier
la loi. » Ces incertitudes ont fait en sorte que la loi ultérieure
constitue « un guide d'interprétation très peu fiable ».
En appel, cependant, la Cour d'appel fédérale a jugé que des principes
de droit objectifs plutôt qu'une approche subjective étaient en cause :
« [L]a
Loi d'interprétation n'empêche pas la Cour de tirer une
inférence selon laquelle les modifications sont destinées à changer la
loi lorsque la preuve interne et externe justifie une telle
conclusion. »
Il en résulte qu'un tribunal peut examiner une transaction par
comparaison avec des modifications législatives qui n'avaient pas encore
été apportées, voire proposées, au moment où la transaction a été
conclue. L'avis fiscal n'aurait tout simplement pas traité de telles
questions.
Modifications a posteriori des documents extrinsèques
Les tribunaux pourraient consulter des documents extrinsèques dans leur
interprétation de la loi. Il y a incertitude lorsque les tribunaux
admettent des documents extrinsèques qui ont été publiés après que les
transactions en question se sont produites. Des documents publiés par
l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
illustrent cette situation. L'opinion quant au caractère acceptable de
plans fiscaux internationaux particuliers varie, tout comme la méthode
qu'on devrait utiliser pour effectuer certaines analyses. La certitude
est compromise lorsque les attitudes changent entre la conclusion d'une
affaire et l'appel en matière d'impôt.
Le débat étroit porte sur la version des diverses publications à consulter. Par exemple, les tribunaux ont reconnu les
Principes
de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des
entreprises multinationales et des administrations fiscales de l'OCDE
(les « principes de l'OCDE ») comme des documents extrinsèques permis
dans les cas relatifs aux prix de transfert. Plusieurs versions ont été
publiées depuis 1979. Les tribunaux ont considéré des versions publiées
après la période visée par l'appel. Dans un cas relatif aux prix de
transfert qui appliquait l'ancien paragraphe 69(2) de la Loi de l'impôt
sur le revenu aux années d'imposition 1990 à 1993 de GlaxoSmithKline
Inc., la Cour suprême a considéré les versions de 1979 et de 1995 (
Canada c. GlaxoSmithKline Inc.,
2012 CSC 52).
De même, les tribunaux ont admis le
Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune
et ses commentaires de l'OCDE comme document extrinsèque dans
l'interprétation des conventions fiscales bilatérales du Canada.
Plusieurs versions ont été publiées depuis 1977. Le jugement faisant
autorité quant à la version à consulter est
Prévost Car Inc. c. Canada (
2009 CAF 57).
L'affaire mettait en cause une convention fiscale conclue d'abord en
1986 et des dividendes payés entre 1996 et 2001. La Cour d'appel
fédérale a maintenu que les commentaires de 2003 étaient la version à
consulter.
Un tribunal pourrait interpréter les dispositions des lois et
conventions fiscales canadiennes en utilisant des documents extrinsèques
qui n'existaient pas lorsque la transaction a été conclue et cela
pourrait s'écarter des normes qui existaient à cette époque. Dans
certains cas, l'avis fiscal n'aurait pas raisonnablement pu prévoir de
tels développements.
Certitude de l'issue dans les cas anti-évitement
La RGAE est parfois considérée comme un affront à la recherche
habituelle de certitude, de prévisibilité et d'équité dans les questions
fiscales. Un tribunal analysera-t-il la RGAE de la même façon que
l'avis fiscal l'a fait, en supposant que l'avis en ait seulement traité?
Peut-être pas.
Souvent, la plus grande incertitude dans les cas relatifs à la RGAE
dépend de ce que le tribunal décidera quant à l'octroi d'un avantage
fiscal : va-t-il dans le sens de l'objet et de l'esprit de la
disposition qui donne lieu à l'avantage fiscal ou les contourne-t-il? Il
s'agit de savoir si la RGAE est un critère judiciaire approximatif ou
une norme juridique rigoureuse.
La Cour suprême a clarifié qu'il revient à la Couronne de démontrer
l'objet et l'esprit d'une disposition et quelque mésusage ou usage
abusif que ce soit, et le bénéfice du doute échoit toujours au
contribuable. La Cour suprême a prévenu dans
Copthorne Holdings Ltd. c. Canada (
2011 CSC 63)
qu'il « ne faut cependant pas confondre la détermination de la raison
d'être des dispositions applicables de la Loi avec le jugement de valeur
quant à ce qui est bien ou mal non plus qu'avec les conjectures sur ce
que devrait être une loi fiscale ou sur l'effet qu'elle devrait avoir ».
La jurisprudence appuie plutôt l'utilisation de l'approche
d'interprétation législative moderne pour déterminer l'objet et l'esprit
d'une disposition, soit une analyse textuelle, contextuelle et
téléologique. Néanmoins, on se questionne sur la subjectivité chaque
fois qu'une décision relative à la RGAE est infirmée en raison d'un
point de vue différent sur l'objet et l'esprit d'une disposition.
Les modifications législatives ultérieures sont particulièrement
problématiques dans les cas impliquant la RGAE. Cette règle est parfois
appliquée à des périodes qui ont précédé une modification législative,
comme si le texte modifié concerne un objet ou un esprit continus. Cette
stratégie réussit ou échoue suivant l'interprétation que le tribunal
fait de la modification. La Cour d'appel fédérale a expliqué dans
Canada c. Oxford Properties Group Inc. (
2018 CAF 30)
que « les dispositions invoquées pour obtenir l'avantage fiscal doivent
d'abord être interprétées individuellement. Ce n'est qu'à la suite de
cette analyse qu'il sera possible de décider si une modification
subséquente portant sur le même sujet confirme ou modifie l'état
antérieur du droit » dans le contexte de la RGAE.
Conclusion
La meilleure arme contre l'incertitude en contentieux en matière d'impôt
sur le revenu est une preuve admissible d'éléments factuels importants.
Dans cet article, j'ai laissé entendre que des événements qui se
produisent
a posteriori et, généralement, qui sont indépendants
de la volonté du contribuable, pourraient influencer l'issue d'un
procès dans les cas de nature technique et anti-évitement. Il pourrait
en résulter de l'incertitude; en revanche, des développements ultérieurs
pourraient appuyer des positions prises dans l'avis. Un avocat plaideur
habile développera une théorie de l'affaire qui tient compte de ces
variables, et de bien d'autres encore, pour préparer le meilleur appel
possible. ◼