La transparence fiscale internationale
Arthur Cockfield, Faculté de droit de l'Université Queen's
« [Traduction] La lumière du soleil est le meilleur des désinfectants »
— Louis D. Brandeis dans « What Publicity Can Do », Harper's Weekly,
20 décembre 1913, pp. 10-13, à la p. 10.
Introduction
Il y a déséquilibre entre les autorités fiscales et les contribuables au
chapitre de l'information financière touchant lesdits contribuables.
Ces derniers disposent de l'information nécessaire au calcul de l'impôt
qu'ils ont à payer et à la production de leurs déclarations, alors que,
pour leur part, les autorités fiscales n'en savent généralement guère
plus que ce qu'on leur communique dans ces déclarations. Il peut donc
s'avérer difficile pour l'administration fiscale de repérer les cas
d'inobservation. La solution? Adopter des lois obligeant le contribuable
(ou un tiers) à fournir aux autorités fiscales davantage d'information
et des renseignements de meilleure qualité. En d'autres termes,
accroître la transparence fiscale.
Les préoccupations liées à la transparence fiscale sont multiples et
cruciales. Certains des articles du présent numéro offrent diverses
perspectives sur l'équilibre entre la communication d'information et la
protection des renseignements personnels dans le contexte des
vérifications fiscales. D'autres traitent des récents projets de mesures
législatives nationales s'inscrivant dans la tendance internationale
vers l'amélioration de l'information communiquée sur les revenus de
diverses sources et la propriété effective des biens. Dans un autre
article encore, un fiscaliste européen décrit le régime de communication
obligatoire d'informations de la directive sur la coopération
administrative « DAC 6 » émise par la Commission européenne en 2018.
Quant au présent article, il porte sur les grandes tendances
internationales qui ont été le principal catalyseur des mesures visant
les questions de transparence fiscale nationale et internationale.
Multinationales et malfaiteurs du monde extraterritorial
Les efforts aujourd'hui déployés pour accroître la transparence du
système financier mondial découlent des réactions politiques à plusieurs
événements. L'un de ces événements est la crise financière mondiale de
2008, qui a plongé de nombreux gouvernements dans le chaos financier.
Ces administrations se sont mises à examiner de plus près les pertes de
recettes attribuables à deux éléments : 1) l'inobservation fiscale et
2) la planification fiscale internationale tirant avantage des
disparités dans la législation fiscale des différents pays. En 2013,
l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et
les pays du Groupe des vingt (G20) ont lancé le projet sur l'érosion de
la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), une ambitieuse
réforme qui visait, en partie, à remédier aux pertes de recettes. L'une
des résultantes du projet BEPS est le système de déclaration pays par
pays (DPP) qui oblige les grandes multinationales à fournir
l'information relative aux paiements d'impôt et autres paiements
qu'elles ont effectués dans chacun des pays où elles exercent leurs
activités.
Un second événement ayant joué le rôle de catalyseur est une série de
fuites de données provenant de paradis fiscaux.
Ces fuites ont attiré l'attention de la planète entière sur les pertes
de recettes des gouvernements résultant de l'évitement fiscal et de
l'évasion fiscale à l'étranger. L'évasion fiscale à l'étranger (à la
différence de l'évitement fiscal, tout à fait légal même lorsque les
stratagèmes sont abusifs) est une infraction pénale qui suppose une
intention délibérée de tromper une autorité fiscale en s'abstenant de
fournir de l'information au sujet de revenus ou de biens à l'étranger.
Ces fuites de données ont commencé aux environs de 2007, avec des
informations en provenance du Liechtenstein et des banques suisses. Les
premières révélations ont, entre autres, donné lieu au
scandale de la banque UBS, en réaction à quoi le Sénat américain a tenu des audiences qui ont mené à la promulgation de la controversée
Foreign Account Tax Compliance Act
(FATCA). La FATCA vise à obliger les institutions financières non
américaines à fournir de l'information sur les dépôts de « personnes des
États-Unis », une très vaste catégorie de contribuables qui regroupe la
plupart des entités ayant un lien avec les États-Unis ainsi que les
particuliers qui (même s'ils ne résident pas aux États-Unis) sont
considérés comme des citoyens des États-Unis en vertu de la loi sur la
citoyenneté américaine.
La FATCA est problématique,
et cela pour plusieurs raisons. L'une d'entre elles est sa nature
coercitive : faute de fournir à l'IRS des renseignements financiers
personnels sensibles au sujet de personnes des États-Unis, dont certains
résidents canadiens, les institutions financières étrangères se voient
imposer par le gouvernement américain une retenue d'impôt punitive. Une
autre de ces raisons, plus importante encore, est l'absence de toute
réciprocité.
Les fuites initiales de 2007 n'ont révélé que les noms des titulaires de
comptes et les soldes des dépôts. En 2013 se sont toutefois enchaînées
plusieurs « mégafuites » de données qui sont parvenues au Consortium
international des journalistes d'investigation. Ces fuites, qui
mettaient en cause des millions de dossiers de contribuables, ont fourni
de plus abondants détails au sujet des activités du monde
extraterritorial. En 2012, on m'a confié le rôle de conseiller auprès de
la Canadian Broadcasting Corporation/Radio-Canada au sujet de ces
fuites et m'a chargé d'expliquer les documents en cause aux
journalistes. L'examen de ces dossiers permettait de constater comment
les conseillers avaient mis sur pied des structures inappropriées et de
quelle façon l'« argent sale » était transféré et investi à l'étranger.
Pour la première fois, les universitaires, les journalistes et les
responsables de l'application de la loi pouvaient contempler le portrait
très détaillé du monde extraterritorial et en saisir les liens avec le
trafic de stupéfiants ainsi que d'horribles crimes et violations des
droits de la personne comme la traite sexuelle d'enfants et les dons
d'organes illégaux.
Qu'avons-nous appris? Entre autres choses, que non seulement les
criminels et les multimillionnaires mais aussi certaines sociétés
multinationales tirent profit du monde extraterritorial.
Pendant des décennies, certains gouvernements ont soutenu les
multinationales dans leur recours aux paradis fiscaux pour réduire leurs
obligations fiscales à l'échelle mondiale. Certaines dispositions de la
Loi de l'impôt sur le revenu ont, par exemple, facilité aux
multinationales la réduction optimale de leurs impôts étrangers sur le
revenu d'entreprise en leur permettant de faire appel à des sociétés
affiliées et à des structures de financement grâce auxquelles elles
pouvaient, dans certains cas, se prévaloir d'une « double déduction »
(une déduction d'intérêt à la fois au Canada et dans le pays étranger
concerné). L'application délibérée de cette politique fiscale, inscrite
dans la Loi, visait à promouvoir la compétitivité des multinationales
établies au Canada.
Les fuites de 2013 ont révélé la hardiesse des plans fiscaux de
certaines multinationales, particulièrement d'entreprises dont la valeur
des revenus ou des actifs mobiles était élevée. L'attention suscitée
par ces informations dans les médias, et leur simplification parfois
excessive, ont entraîné une réaction négative de la part du public et
poussé certaines entreprises en contact direct avec les consommateurs à
en assumer le possible contrecoup négatif sur leur réputation. Starbucks
a, par exemple, de son propre chef augmenté ses paiements d'impôt sur
le revenu d'entreprise au Royaume-Uni. Apple Inc., après la couverture
médiatique défavorable suscitée par sa stratégie consistant à tirer
profit des régimes fiscaux avantageux de l'Irlande et des Pays-Bas (à la
suite des
révélations des « Paradise papers » en 2017),
a pour sa part choisi de recourir à de nouvelles entités, établies dans
d'autres paradis fiscaux, pour restructurer ses activités mondiales de
façon à se prévaloir d'avantages fiscaux similaires.
L'enquête sur les
fuites luxembourgeoises
en 2014 a révélé comment les autorités fiscales du Luxembourg
prononçaient des décisions anticipées en matière d'impôt qui étaient
souvent favorables aux multinationales. Dans le cadre des réformes du
projet BEPS, de nombreux pays, dont le Canada, échangent désormais des
décisions en matière d'impôt avec d'autres pays concernés.
Les fuites ont révélé, entre autres, les différents rôles que jouent les
entités établies à l'étranger. L'on estime que 2,5 billions de dollars
sont blanchis annuellement à l'échelle planétaire, la majeure partie de
cette somme provenant du trafic illicite de stupéfiants, et qu'une
grande part de ces activités se déroulent dans le monde
extraterritorial. Les personnes qui vivent dans des États répressifs
faisant peu de cas de la primauté du droit (comme la Chine, la Russie et
le Mexique) craignent souvent, à juste titre, que leur gouvernement
saisisse leurs actifs nationaux et laissent leurs familles totalement
dépourvues. Certains de ces gouvernements restreignent les
investissements de leurs citoyens dans des actifs nationaux, les
incitant à diversifier leurs portefeuilles de placements et à recourir à
des entités extraterritoriales pour anonymiser leurs investissements
mondiaux. Les mégafuites ont mis en lumière le fait que des centaines de
milliards de dollars s'échappaient de ces pays pour être investis dans
des pays de l'OCDE comme le Canada, ce qui a notamment provoqué
l'ascension vertigineuse des prix du logement à Vancouver.
Le monde réagit : Laissons pénétrer la lumière
Parmi les réactions politiques à ces événements figurent des efforts pour accroître la transparence.
Contrer l'évasion fiscale
La poursuite des fraudeurs fiscaux de l'extraterritorialité dont nous
sommes maintenant témoins remonte à l'époque des délibérations de la
Société des Nations, dans les années 1920, dont découlent les premières
conventions fiscales bilatérales. L'une des dispositions de ces
conventions envisageait l'échange de renseignements fiscaux comme
mécanisme de réduction de l'évasion fiscale. Une limitation initiale
découlait du fait que la majorité de ces conventions initiales se
négociaient entre pays riches exportateurs de capital, comme le Canada
et les États-Unis. Ces conventions prévoyaient souvent trois types
d'échange de renseignements fiscaux : 1) la communication d'information
sur demande, 2) l'échange automatique et 3) l'échange spontané (selon
lequel une autorité fiscale qui prenait connaissance d'information au
sujet d'un non-résident devait partager cette information avec une
autorité fiscale étrangère). Les fraudeurs fiscaux, qui n'étaient pas
moins astucieux à l'époque qu'aujourd'hui, ont pris les mesures
nécessaires pour contrer ces dispositions et se sont mis à recourir à
des paradis fiscaux qui n'avaient pas d'accords avec d'autres pays en
matière d'échange d'information.
La fin des années 1990 a marqué un tournant, lorsque les efforts de
l'OCDE pour réfréner la « concurrence fiscale dommageable » ont débouché
sur la création d'une liste noire des paradis fiscaux — c'est-à-dire
des pays avec lesquels il n'existait pas d'échange d'information
efficace. En 2002, l'OCDE a créé un modèle d'accord d'échange de
renseignements fiscaux (AERF), visant les accords entre les pays de
l'OCDE et les paradis fiscaux. Mais le principe d'« information sur
demande » de ce modèle a rapidement été jugé déficient : le pays de
résidence ne dispose habituellement pas de l'information suffisante pour
répondre à la demande au départ. (Le modèle de protocole de l'OCDE sur
l'échange de renseignements en matière fiscale, publié en 2015, prévoit
l'adjonction des échanges automatiques et spontanés de renseignements
fiscaux.) Le Canada a conclu des AERF avec 24 pays et, au surplus,
94 conventions fiscales bilatérales, dont bon nombre comptent des
dispositions visant l'échange automatique de renseignements fiscaux.
À compter de 2013, l'OCDE et les pays du G20 ont mis l'accent sur
l'opportunité de faire de l'échange automatique de renseignements
fiscaux la nouvelle norme mondiale, et cette norme est instaurée par
l'intermédiaire de la norme commune de déclaration (NCD). La NCD rend
obligatoire le respect d'une « norme internationalement reconnue » en
vertu de laquelle les pays exigent de leurs institutions financières
qu'elles obtiennent de l'information sur les comptes détenus par des
non-résidents et — aux termes des AERF ou des conventions bilatérales
qui s'appliquent — qu'elles fassent automatiquement état de ces
renseignements aux autorités nationales des titulaires de ces comptes.
Sous ce régime, la législation canadienne exige que les institutions
financières canadiennes indiquent l'identité des titulaires de comptes
non résidents et fournissent des renseignements précis à l'ARC, qui
partage ces renseignements avec les autorités fiscales du pays où réside
le titulaire du compte. Les partenaires du Canada qui adhèrent à la NCD
fournissent à leur tour à l'ARC les renseignements concernant les
résidents canadiens qui possèdent des comptes à l'étranger. Munie de
cette information, l'ARC peut vérifier si le résident canadien a fait
état de la totalité de ses revenus liés à ses avoirs à l'étranger. La
plupart des pays développés appliquent la NCD, à l'exception notoire des
États-Unis qui rejettent l'échange réciproque de renseignements
fiscaux.
Le droit à la vie privée et les défis connexes
Bien entendu, les normes d'échange automatique de renseignements comme
la NCD sont le reflet, ou visent à l'être, d'un équilibre des droits —
le droit à la vie privée des contribuables, d'une part, et le droit des
autorités fiscales d'obtenir l'information dont elles ont besoin pour
préserver l'intégrité de la législation fiscale de leur pays, d'autre
part. Mais l'intensification de la collecte et du partage
transfrontalier de ce que l'on appelle les mégadonnées des contribuables
(des volumes de données regroupées importants et complexes) a exacerbé
les préoccupations relatives au droit à la vie privée. L'on s'inquiète,
notamment, de la possibilité que les renseignements transmis :
- ne soient pas protégés par les lois du pays qui les reçoit aussi bien qu'ils le sont par les lois du pays qui les transmet;
- soient utilisés à mauvais escient par le pays qui les reçoit à des
fins politiques, comme celle d'aider les sociétés nationales à rivaliser
avec les concurrents étrangers;
- soient utilisés à mauvais escient dans le but de sanctionner les
contribuables pour des motifs politiques, ce qui pourrait engendrer des
violations des droits de la personne;
- soient illégalement consultés ou modifiés par des tiers; et
- soient trompeurs ou inexacts, ce qui pourrait mener à des enquêtes
de l'étranger ciblant des contribuables qui n'ont rien à se reprocher.
Comme nous l'avons fait remarquer plus tôt, les États-Unis ont refusé de
participer à l'échange réciproque de renseignements fiscaux, optant
plutôt pour l'application des dispositions de retenue fiscale
coercitives de la FATCA afin d'obliger les autres pays, dont le Canada, à
fournir à l'IRS l'information que possèdent les institutions
financières sur les ainsi nommées « personnes des États-Unis ». Afin de
faire échec aux préoccupations des autres pays quant au caractère privé
de l'information communiquée, les États-Unis ont virtuellement obligé
tous les pays développés, le Canada inclus, à conclure des « accords
intergouvernementaux » sous la forme prescrite par les autorités
américaines. Le Canada a conclu l'un de ces accords en 2014 et adopté
des dispositions législatives nationales lui donnant force de loi. En
conséquence, les institutions financières canadiennes (au sens très
large) doivent se plier à des exigences de contrôle diligent lourdes et
complexes en ce qui a trait à l'identification des « comptes US devant
faire l'objet d'une déclaration ». Elles doivent transmettre
l'information à l'ARC, qui la communique ensuite à l'IRS. J'ai appris,
en soumettant des
demandes d'accès à l'information, que le Canada transmettait
grosso modo
chaque année 1 million de déclarations de renseignements à l'IRS dans
le cadre du programme d'« intermédiaire qualifié » et que l'ARC, au
cours de la première année suivant l'entrée en vigueur de la FATCA, a
fourni à l'IRS environ 150 000 de ces déclarations, quantité qui a
doublé pour atteindre environ 300 000 l'année suivante. Jusqu'à
maintenant, la transmission de renseignements prévue par la FATCA n'a
pas été réciproque; le Canada n'a rien reçu en échange de l'aide
apportée aux Américains.
Des progrès?
L'
ARC estime
qu'en 2014 (avant l'introduction des règles de transparence décrites
précédemment), le gouvernement a perdu entre 0,8 milliard et 3 milliards
de dollars de recettes fiscales à cause de fonds cachés dans des
comptes à l'étranger. Les mesures prises depuis 2014 ont-elles aidé le
Canada à recouvrer davantage de recettes fiscales? La question reste en
suspens. Le gouvernement affirme pour sa part (ce que certaines
observations tendent à confirmer) que l'ARC fait enquête sur l'évitement
fiscal et l'évasion fiscale à l'étranger de manière plus offensive que
par le passé. (Je siège au Comité consultatif de l'ARC sur l'observation
à l'étranger, chargé d'étudier les retombées du monde
extraterritorial.)
Les gouvernements fédéral et provinciaux ont récemment adopté des
mesures additionnelles pour promouvoir la transparence fiscale, parmi
lesquelles l'adjonction à la Loi canadienne sur les sociétés par actions
(LCSA) d'exigences quant à la fourniture de renseignements sur la
propriété effective et le retrait des actions aux porteurs de la LCSA et
de certaines lois provinciales sur les sociétés par actions. Le Canada
et les provinces pourraient devoir prendre des dispositions
supplémentaires, comme la création d'un
registre national
des propriétaires effectifs d'entités commerciales et juridiques. Le
gouvernement devrait également promouvoir l'adoption d'une
charte multilatérale des droits du contribuable
afin de veiller à la protection des contribuables. Si les gouvernements
ont l'assurance que les droits de leurs contribuables seront respectés,
ils seront davantage susceptibles d'entamer des échanges efficaces avec
d'autres pays.
La planification fiscale internationale
Dans la réponse mondiale à la planification fiscale agressive, la
principale mesure visant à promouvoir la transparence fiscale a consisté
à mettre au point, grâce aux processus de réforme du projet BEPS, la
DPP qui, en 2018, a acquis force de loi au Canada en vertu de
modifications apportées à la Loi de l'impôt sur le revenu. Selon la DPP,
les grandes sociétés multinationales dont le revenu mondial consolidé
s'élève à plus de 750 millions d'euros (soit approximativement
1,2 milliards de dollars) doivent déclarer tous les paiements d'impôts
(et d'autres montants similaires) qu'elles ont effectués dans chacun des
pays dans lesquels elles exercent leurs activités.
En théorie,
la DPP paraît être, chose rare, une solution d'une indiscutable
efficacité. Il s'agit d'une mesure qui devrait faciliter l'examen des
prix de transfert et autres vérifications internationales. L'ARC affirme
que les renseignements contenus dans ces déclarations seront utilisés
uniquement à des fins d'évaluation des risques.
En réaction aux fuites luxembourgeoises, les gouvernements se sont
également engagés, conformément à l'action 5 du projet BEPS, à échanger
des décisions fiscales afin d'accroître la transparence du système. Dans
le cadre de cette réforme, le Canada a convenu de remettre à ses
partenaires d'échange un résumé de certaines de ses décisions fiscales.
L'ARC
estime
qu'en 2014, les erreurs de déclaration et la planification fiscale
indue chez les petites et moyennes entreprises ont réduit les recettes
fiscales fédérales de 2,7 milliards à 3,5 milliards de dollars, et que
les grandes sociétés se sont soustraites abusivement à environ
8 milliards de dollars d'impôts. Le gouvernement tente de résoudre le
problème de cet « écart fiscal » grâce à une application plus rigoureuse
des lois fiscales. Dans les budgets fédéraux récents, l'administration
actuelle a investi 1 milliard de dollars supplémentaires dans les
ressources dédiées à l'observation des lois fiscales, la plus grande
part de cette somme étant consacré à l'examen des prix de transfert. Une
somme additionnelle de 600 millions de dollars a été consentie dans
l'énoncé économique de l'automne 2020, le 30 novembre dernier. Dans ces
examens, le gouvernement a également été plus âpre dans ses exigences de
renseignements étrangers. Comme d'autres pays, le Canada craint que la
planification fiscale n'érode l'assiette de l'impôt sur le revenu des
sociétés et croit que les mesures de transparence fiscale figurent parmi
les moyens permettant de protéger l'intégrité de cette base
d'imposition.
Une nouvelle sorte de pratique fiscale : Étude et gestion de la circulation des renseignements fiscaux
Les nouvelles mesures mondiales visant à promouvoir la transparence,
dont la DPP et la NCD, témoignent de progrès dans la lutte incessante
contre l'évasion fiscale à l'étranger et la planification fiscale
internationale agressive menant à l'inobservation. Elles sont un bon
point de départ pour répandre la lumière du soleil, le meilleur des
désinfectants, sur le système fiscal mondial : elles produiront des
renseignements propres à aider les autorités fiscales.
Que signifie tout cela pour les fiscalistes?
Les réformes ont engendré de nouvelles lois et politiques complexes qui
régissent la collecte, l'utilisation et la communication des
renseignements fiscaux. Ces nouvelles lois et politiques ont, à leur
tour, généré la nécessité d'obtenir des conseils professionnels en
matière de gestion des données fiscales. Il en résulte un domaine
d'exercice (relativement) nouveau, une surspécialité qui conjugue les
questions traditionnelles de droit ou de comptabilité et les sujets
techniques complexes liés, par exemple, aux besoins accrus de protection
de la vie privée et des renseignements personnels et aux nouveaux
accords administratifs internationaux auxquels a donné naissance la
mondialisation des renseignements personnels.
Les progrès technologiques qui touchent les données fiscales englobent
les mégadonnées, les analyses de données, l'intelligence artificielle et
les chaînes de blocs. Les gouvernements se servent de plus en plus de
ces instruments pour favoriser l'observation fiscale. Ainsi l'ARC
utilise-t-elle un programme d'analyse de données pour repérer les
revenus étrangers non déclarés. Les quatre grands cabinets comptables
(KPMG, PwC, Deloitte et Ernst & Young) pourraient réagir à ces
avancées en s'efforçant de rétroconcevoir les techniques de vérification
du gouvernement, afin de mieux protéger leurs sociétés clientes contre
le risque de vérification. (Un contribuable pourrait, par exemple,
identifier un « drapeau rouge » que repérera le logiciel du gouvernement
et prendre des mesures pour éluder ce problème dans son processus de
planification fiscale.) Il se peut aussi que les sociétés contribuables
déploient les nouvelles technologies pour mieux gérer leurs fonctions
fiscales (en utilisant par exemple les mégadonnées et l'intelligence
artificielle pour calculer les prix de pleine concurrence) et pour
améliorer globalement l'efficience et l'observation.
Comme nous l'avons expliqué précédemment, l'échange automatique de
mégadonnées sous le régime de la NCD et de la DPP soulève des
préoccupations au sujet de la vie privée des contribuables et de l'accès
des gouvernements aux secrets commerciaux et autres renseignements
confidentiels. C'est pourquoi les fiscalistes exerçant dans ce domaine
se doivent de comprendre les lois qui protègent la vie privée et les
données, au-delà de la Loi de l'impôt sur le revenu; ils doivent être à
même de discerner, par exemple, si les données d'un client ont été
colligées dans le respect de la loi. À titre d'exemple, une législation
pertinente à cet égard est la Loi sur la protection des renseignements
personnels et les documents électroniques qui régit le mode de collecte
des renseignements dans le secteur privé et exige que les entreprises
obtiennent le consentement d'un client avant de recueillir des données
personnelles sur ce dernier. Une autre loi, la Loi sur la protection des
renseignements personnels, régit la façon dont les organismes
gouvernementaux fédéraux, comme l'ARC, peuvent légalement partager avec
d'autres organismes des renseignements personnels, y compris des données
relatives aux contribuables. Quand un contribuable devrait-il accéder à
la demande d'information d'une autorité fiscale ou d'un fonctionnaire?
Le gouvernement devrait-il, dans ses efforts pour obtenir des
renseignements au sujet de contribuables, pouvoir s'appuyer sur des
données fiscales dérobées dans le cadre de fuites de données? Alors que
les gouvernements cherchent sans relâche à améliorer leur accès aux
renseignements fiscaux, il n'est pas étonnant que les contribuables se
soucient de plus en plus de préserver le secret professionnel liant
l'avocat à son client dans leurs échanges.
Un dernier sujet de préoccupation pour les fiscalistes est celui des
nouveaux accords alambiqués en matière d'administration fiscale
internationale qui se superposent à un régime législatif déjà complexe.
Les accords administratifs qui régissent la NCD et la DPP permettent de
déterminer quelles données peuvent être légalement colligées et quelles
mesures de protection de la vie privée et de protection technologique
doivent être instaurées avant qu'on ne procède à l'échange
transfrontalier de données. Les fiscalistes doivent étudier ces accords
et déterminer si les contribuables à qui ils prodiguent des conseils
devront établir de nouvelles structures d'entreprises à l'étranger pour
demeurer en règle. Dans un monde où les données sont le « nouvel or
noir », les fiscalistes seront de plus en plus appelés à promouvoir et à
protéger les intérêts de leurs clients en les conseillant au sujet de
la collecte, de l'utilisation et de la communication de renseignements
fiscaux.